Pourquoi le nucléaire est en train de ruiner la France
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Mur d’investissement, falaise financière, les allégories ne manquent pas pour décrire l’impossible équation financière à laquelle la filière nucléaire française est confrontée.
Mur d’investissement, falaise financière, les allégories ne manquent pas pour décrire l’impossible équation financière à laquelle la filière nucléaire française est confrontée. Ce qui est certain, c’est que le constat est partagé par tous, ce qui n’était évidemment pas le cas lorsque en 2011 dans la vérité sur le nucléaire, j’avais évoqué la situation critique d’Aréva. La filière nucléaire est plus qu’une danseuse pour le budget de l’État. Pour la seule année 2017, l’État a sorti 3 milliards pour EDF et 5,5 Mds pour Aréva, auxquels s’ajoutent l’abandon d’1,6 milliards de dividendes et probablement les 2,3 milliards de l’arbitrage perdu en Finlande, soit la bagatelle de près de 13 milliards d’euros! Jusqu’où faudra-t-il aller?
La société Aréva traîne 7 milliards de dettes et voit son chiffre d’affaires en baisse constante. Elle aurait dû déposer le bilan. Mais elle est recapitalisée par un apport de 4,5mds de l’État destiné simplement à permettre la continuation de l’activité sous deux entités l’une étant reprise par EDF pour la somme de 2,5 mds payés en définitive aussi par le contribuable. Mais le gouffre ne s’arrête pas là. Aréva SA devient une forme de structure de défaisance accueillant outre la dette initiale, la dette finlandaise (un premier arbitrage perdu pour Aréva va coûter au Budget de l’État 2,3mds et ce n’est sans doute pas terminé) et les coûts induits par les malversations du Creusot. Inutile de dire que le contribuable va devoir sortir encore de nombreux milliards pour combler ce déficit scandaleux qui rappelle fâcheusement dans un autre domaine, l’affaire du Crédit Lyonnais -qui a aussi coûté des milliards aux contribuables sans que personne ne soit responsable-… Le pire est qu’Aréva continue à perdre de l’argent parce qu’en réalité son activité, même réduite au minimum, ne cesse de se contracter et son classement par l’agence de notation S&P BBB- sur le long terme n’est pas brillant.
La situation est moins mauvaise pour EDF qui néanmoins a dû sortir du CAC 40, voir son action passer de 80 à 7 euros (puis remonter à 9) et sa notation S et P baisser à A-. Ses résultats financiers sont mauvais et, la baisse de l’endettement qui reste massif (au-delà de 30 milliards d’euros) est liée à des cessions d’actifs et en particulier les titres ERDF cédés à la caisse des dépôts, c’est-à-dire en réalité rachetés par l’État. Les résultats nets courant de 2016 accusent une baisse de 15% (4,1 Mds d’euros, contre 4,8 Mds d’euros en 2015) une baisse de production de 7,9% et les résultats semestriels de 2017 sont également en baisse de 2,7%. Les investissements restent inférieurs à 10 milliards par an alors que la réalisation du plan d’investissement sur lequel EDF s’est engagé représente selon le rapport d’AlphaValue 165 milliards soit autour de 16 milliards par an. En effet, le grand carénage évalué par EDF à 50 milliards et par la Cour des Comptes à 100 milliards n’intègre pas toutes les anomalies constatées depuis plusieurs mois, les défauts systémiques et les dépenses indispensables au titre de la mise aux normes post Fukushima.
Et encore, cette situation financière assez calamiteuse ne reflète que très partiellement la réalité du fait du sous-dimensionnement des provisions faites pour le traitement des déchets à long terme et pour le démantèlement. Selon le rapport d’AlphaValue, il manquerait 50 milliards de provisions. Cette sous-évaluation avait déjà été mise en lumière dans un rapport de l’Assemblée nationale de février 2017 puis dans un avis de l’ASN de juillet 2017 dans lequel le gendarme du nucléaire souligne l’absence d’éléments d’information fiables, la non prise en considération des retards et des manques de disponibilité dans le stockage des déchets et la non prise en compte des sites pollués.
Il faut également prendre en compte le financement de Hinckley Point, réacteur qui a déjà pris 18 mois de retard avant même d’avoir commencé qui devrait être financé par EDF à hauteur de 15 milliards auxquels s’ajoutent 1,8 milliard pour tout retard étant à la charge de l’exploitant. Dans la mesure où aucun établissement bancaire n’accepte de financer ce type de projet, c’est EDF c’est-à-dire le contribuable français qui devra financer un projet dont la réalisation n’est de loin pas certaine compte tenu d’une part du Brexit et de son incidence Euratom et d’autre part de la contestation de l’Angleterre liée à un prix déraisonnable de l’électricité nucléaire.
Cette situation financière catastrophique n’empêche évidemment pas EDF d’investir plusieurs centaines de millions d’euros dans la publicité que son monopole ne justifie pas mais qui a le mérite d’éviter des articles trop critiques dans la presse…
Face à ce mur de dépenses, l’État a mis au pot cette année 3 milliards et accepté de renoncer au paiement des dividendes soit 1,6 Md. Pour 2017, ce sont 10 milliards qui ont été dépensés à fonds perdus pour la filière nucléaire sans compter évidemment les dépenses cataloguées au titre de la recherche qui financent le CEA. Certes, la filière nucléaire représente un nombre d’emplois non négligeables mais très éloignés des 220 000 constamment avancés par le lobby nucléaire. En réalité, EDF comptait 68.460 salariés à fin 2016, hors filiales) et devrait atteindre 64 000 en 2019 soit une baisse de 10% par rapport à 2015. Quant à Aréva, la société comptait 38 000 salariés à la fin de l’année 2016 soit 5000 de moins qu’en 2015. Au total, la filière représente moins de 100 000 personnes en emplois directs et malgré les sommes astronomiques mises par les contribuables près de 10 000 emplois ont été supprimés. En revanche, la progression des emplois dans le secteur du renouvelable est constante avec 162 000 emplois en 2016.
Et la situation risque de ne pas s’arranger. En effet, la productivité de nos réacteurs ne cesse de se réduire et, le marché de gros européen fait une place de plus en plus réduite à l’électricité nucléaire en raison de la priorité donnée à l’électricité verte et de la croissance très importante de l’énergie renouvelable dans l’espace européen. Ajouter à cela une baisse de la consommation d’électricité nucléaire. Au total, le chiffre d’affaires d’EDF ne peut que décroître–ce qui est déjà le cas depuis deux ans-et par voie de conséquence rendre encore plus insoluble l’équation financière à laquelle cette société est confrontée. L’impasse financière est totale.